Michäel Boumendil
Michaël Boumendil est un compositeur et designer sonore français. Il conceptualise au début des années 1990 le principe de l'identité sonore des marques et crée en 1995 une agence de design musical et d'audio branding, Sixième Son, qui devint la référence internationale.
Quelle est la vision que vous poursuivez à travers votre travail ?
Pour une raison que j’ai n’est jamais exactement éclaircie, je suis né avec une relation particulière au son et à la musique. J’ai d’abord eu l’intuition, puis la sensation et enfin la certitude que la musique et le son était le langage le plus puissant et le plus engageant – et qu’il était mon langage. J’avais 19 ans quand j’ai compris que la magie de la musique pouvait s’appliquait de façon révolutionnaire dans le monde, et que le monde des marques pouvait changer le monde. C’est tout le sens de mon travail depuis mes débuts. Je sais que si l’on aborde le son avec exigence et vérité, si on le construit comme un élément d’incarnation et d’expérience, alors on peut rendre le monde plus beau, les marques plus fortes et par conséquent les expériences plus intéressantes.
Quelles racines culturelles ou historiques, ou quelles autres disciplines ou domaines de la société ont le plus influencé votre métier selon vous ?
J’appartiens à une histoire familiale où chaque génération est née dans un pays – voire un continent – différent. Je suis né en France, je vis aux Etats-Unis. Je suis attaché à ces deux pays. Je dois beaucoup à la France. Elle a inventé beaucoup de concepts qui m’ont construit. Je crois à l’universalisme des droits de l’homme, comme à l’élégance et au raffinement du détail. Le luxe français est une célébration de l’extrême attention que les choses – comme les gens – méritent. Mes racines africaines raisonnent en moi au quotidien, mes racines orientales également. J’ai une radicalité qui se nourrit du parcours de mes ancêtres et de mon éducation dans les écoles publiques de la République Française. Je me débrouille dans 5 ou 6 langues et chacune me remplit d’émotion, même si je déplore de ne pas en connaitre davantage. Toutes me parlent même si je suis très loin de les parler toutes.
Quels sont les principaux changements que vous avez observés dans votre métier au fil du temps et les défis qui pourraient survenir dans les prochaines décennies ? Comment reflètent-ils les transformations sociétales et technologiques ?
Le monde de la musique est parmi ceux qui ont connu le plus de révolutions récentes : techniques, technologique, scientifique, culturelle, sociale, politique, financière, en moins d’un siècle, tout a changé dans la musique alors que nos oreilles sont restées les mêmes. La révolution la plus spectaculaire est finalement celle de la place de la musique dans nos vies et dans nos sociétés. La musique était un divertissement bourgeois, couteux, réservée à une élite urbaine, et dont l’écoute était circonscrite à des moments rares. Elle est aujourd’hui gratuite, et tous, tout le temps écoutent une diversité de musiques que jamais le monde n’a réussi à rassembler aussi largement. La force des mots s’effondre, la fiabilité des images disparait. La musique devient un super pouvoir à nul autre pareil. Elle offre à chacun d’entre nous – comme aux marques – des opportunités formidables pour multiplier nos chances de réussir, à condition de savoir s’y prendre. J’y consacre mon dernier livre.
Y a-t-il un livre, un film ou une œuvre d’art qui selon vous capture parfaitement l’essence ou les dilemmes de votre métier ?
Il y a trois artistes qui m’ont brutalement touché et influencé. Assez bizarrement, c’est du côté de la peinture qu’ils se trouvent : Rothko, Picasso, Basquiat. Je ne suis pas certain de leur trouver un point commun mais ils me parlent et m’apprennent des choses. L’un de mes grands tourments est l’amour et le combat du simple. Je crois au simple mais pas au simplisme. Je me bats pour trouver la frontière et demeurer du bon côté des choses : celui qui mêle le sens à son accessibilité. Je crois à la transformation du réel comme à l’inspiration que le réel offre à la vérité du langage. Je trouve que tous les trois sont des transformistes dans une certaine mesure. Je crois en être un, bien humblement. Il n’y a pas une œuvre en particulier qui traduise l’essence de mon travail mieux que mon dernier travail ou peut-être le prochain. Et pourtant, des milliers d’oeuvres musicales, de Chopin aux Beatles, de Britney Spears à Billie Holiday, de Fauret à Travis Scott m’ont aidé à bâtir la palette autour de laquelle je gravite.
Imaginons que vous puissiez créer une capsule qui voyagerait à travers l’univers et le temps, qu’aimeriez-vous mettre dedans ?
J’adore l’idée. Je ne suis pas certain que ce soit une qualité mais je ne suis pas attaché aux objets. Même les objets auxquels je tiens, je sais m’en détacher quand je le dois. Je ne suis réellement attaché qu’à l’amour – et donc aux gens. Alors je mettrai les gens que j’aime et une guitare. Comme on prendrait tous les meilleurs ingrédients gastronomiques au monde et une bouteille d’huile d’olive. Ma capsule serait mon arche de Noé, version tribu des Boumendil, et nous chanterions pour l’éternité autour d’un feu, la guitare à la main.