Frédéric Simonin
Né le 31 juillet 1975 à Issy-les-Moulineaux, fils d'un officier militaire, Frédéric Simonin entre en internat militaire à 13 ans puis décide de faire un apprentissage en cuisine à Saint-Brieuc formé par Roland Pariset. En 1993 il est lauréat du Meilleur Apprenti Cuisinier de Bretagne à tout juste 18 ans. Il obtient son CAP de cuisine la même année, déménage à Paris et commence à travailler en tant que commis au Pavillon Ledoyen sous la direction de Ghislaine Arabian. Il gravit rapidement tous les grades jusqu'à chef de partie et officie pendant plusieurs années au restaurant Le Meurice sous Marc Marchand, au Taillevent sous Philippe Legendre puis Michel Del Burgo et au Cinq avec Philippe Legendre. Il se forme dans de grands restaurants et acquiert comme chef deux étoiles Michelin chez Joël Robuchon. Il ouvre son propre restaurant en 2010 à Paris où il obtient l'année suivante une étoile Michelin.
Quelle est la vision (le fil rouge, concept fondateur ou encore objectif principal) que vous poursuivez à travers votre travail ?
Ce métier évolue sans cesse, se développant rapidement, surtout sous l'impulsion des émissions de télévision et des sponsors qui contribuent à sa médiatisation. Cette attention rend le métier presque star, mais, il faut le reconnaître, cette popularité s'essoufflera avec le temps, à l'instar d'un phénomène de mode. C'est pourquoi je pense qu'il est essentiel de revenir aux bases : former, coacher, guider et enseigner les fondamentaux du métier, qui tendent à se perdre. Dans cette optique, pourquoi ne pas envisager la création d'une école de cuisine, tout en se démarquant des établissements actuels ? Une école qui serait le symbole de l'excellence, travaillant en petit comité, un peu comme un régiment dédié à la cuisine, qui rappellerait, avec une pointe d'humour, la Légion étrangère. J'imagine un format innovant : un bâtiment tout-en-un, un campus dédié à la gastronomie, véritable mélange entre savoir-faire culinaire et vie communautaire. Un projet est en cours d'élaboration, mais n'a pas encore été totalement défini. Son coût s'annonce très élevé, se chiffrant en millions, et seuls des partenaires solides et engagés pourront le concrétiser.
Quels sont les principaux changements que vous avez observés dans votre métier au fil du temps et les défis qui pourraient survenir dans les prochaines décennies ? Comment reflètent ils les transformations sociétales et technologiques ?
Au fil des ans, j'ai pu observer plusieurs changements majeurs dans mon métier, reflétant les évolutions sociétales et technologiques. Parmi ces changements, l'avancée technologique tient une place prépondérante, avec des progrès notables dans les matériaux utilisés, l'introduction de plaques de cuisson et de fours intelligents, ainsi que l'adoption de techniques de cuisson innovantes telles que le sous-vide. Ces développements ont été largement impulsés par de grandes entreprises, comme EnoDIS, ainsi que par des cuisinistes reconnus, tels que Michel et Jérôme Costes, père et fils de la maison Rorgue. L'un des objectifs de ces innovations est de réduire la chaleur autour du cuisinier, afin d'accroître sa performance. En outre, l'utilisation de matériaux plus écologiques pour les produits de nettoyage contribue à réduire la pollution engendrée par les substances toxiques. Sur le plan de l'alimentation, une tendance vers une consommation réduite de protéines et l'utilisation de matières transformées est également observable. Cependant, ce qui m'inquiète le plus pour l'avenir, c'est la question de la surpopulation mondiale et du gaspillage alimentaire. Ces défis, qui s'annoncent cruciaux dans les prochaines décennies, reflètent les enjeux majeurs de notre société face aux transformations technologiques et aux préoccupations environnementales.
Y a-t-il un livre, un film ou une œuvre d’art qui selon vous capture parfaitement l’essence ou les dilemmes de votre métier ?
Deux ouvrages culinaires viennent immédiatement à l'esprit. Le premier, "L'Heptaméron des gourmets", offre une plongée dans la cuisine moderne du 19ème siècle, tandis que le second fait écho au classicisme de cette même époque à travers "Le guide culinaire" d'Auguste Escoffier. Ces livres illustrent la vie comme un dilemme éternel, reflétant un siècle marqué par divers styles culinaires. Des chefs renommés tels que Joël Robuchon, Alain Ducasse, Paul Bocuse et Pierre Gagnaire incarnent également cet esprit, chacun à leur manière contribuant à la richesse et à la complexité de la cuisine. Leur travail, traversé par la passion, l'innovation et le respect des traditions, capture parfaitement les nuances et les défis de notre profession.
Imaginons que vous puissiez créer une capsule qui voyagerait à travers l’univers et le temps, qu’aimeriez-vous mettre dedans ?
Si j'avais la possibilité de créer une capsule capable de voyager à travers l'univers et le temps, je l'imaginerais non seulement comme un moyen de revisiter le passé mais aussi comme une réflexion sur la possibilité de rendre notre existence moins compliquée, plus belle, et plus épanouissante par rapport aux défis de notre vie actuelle. Au cœur de cette capsule temporelle, je choisirais de placer mes trois enfants. Cette décision serait motivée par le désir de prendre un nouveau départ avec eux, de parcourir ensemble un chemin de vie différent où je serais plus présent. Mon absence dans leur vie constitue l'un de mes plus grands regrets. Le temps perdu avec ceux que nous aimons est quelque chose qu'on ne peut jamais récupérer. Tout au long de ma vie, j'ai consacré une grande partie de mon temps au travail, cherchant à combler un vide personnel et à apaiser une tristesse intérieure, tout en négligeant ce qui est véritablement essentiel : la vie elle-même. Placer mes enfants dans cette capsule serait un symbole fort de ma volonté de réparer mes erreurs passées et de me consacrer à l'essentiel, à savoir, être là pour eux, juste pour eux.