Cenitz Studio
Capsule N°09

François-Xavier RICHARD

Peintre, sculpteur et graveur, François-Xavier Richard s’oriente dans un premier temps vers le théâtre et la scénographie. Une série de rencontres inattendues le conduit à la découverte du papier peint artisanal et travaille chez Mauny, l’une des dernières manufactures d’impression de papiers peints à la planche. Fort de son expérience, François-Xavier Richard décide de conjuguer ses connaissances techniques et son talent de plasticien afin de donner naissance à l’Atelier d’Offard, contribuant ainsi au renouveau d’un artisanat d’art négligé depuis le milieu du XXème siècle.

Quelle est la vision (le fil rouge, concept fondateur ou encore objectif principal) que vous poursuivez à travers votre travail ?

Le papier est notre véritable guide. Il est pour nous l’incarnation de la pensée, de la mémoire et de l’imaginaire. Lorsqu’il est peint à la main pour une parure murale, autrement appelé papier peint, il véhicule la mémoire d’un lieu et sa chronologie. Outre la dimension historique, il est le miroir des songes, de la rêverie. Intrinsèquement pluriculturel, nous abordons le papier dans tous ses états et dans toutes ses dimensions, de la pulpe à la feuille et de l’eau, d’où il émerge, au mur. Nous recherchons la dimension introspective et interactive (dans le sens charnel et non désincarné, virtualisé) du papier à l’échelle du mur, du livre, du carnet ou de la petite note. Issu d’un matériau pauvre, ou du moins créé à partir de matières premières communes, le papier nous offre des jeux de métamorphoses infinies et sa dimension transformative nous tient en haleine. Enfin, la singularité de ce qu’il porte en lui guide et entretient l’amour que nous lui portons. Le papier peint à la planche, tout en restant notre cœur de métier et sans être subsidiaire, ne suffit plus à expliquer le passage du décoratif aux arts décoratifs. D’ailleurs, il nait à la fin du XVIIème de la rencontre de divers métiers autour du papier : papetiers, graveurs, imagiers, dominotiers etc.

Quelles racines culturelles ou historiques, ou quelles autres disciplines ou domaines de la société ont le plus influencé votre métier selon vous ?

Le papier appartient à toutes les cultures, ou presque. Il est à la croisée des mondes. La richesse qu’il porte, en lui et sur lui, confère à un support en apparence ordinaire, sa dimension précieuse. J’aime interroger les singularités culturelles à travers ce qu’offre le papier (en dehors de sa fonction de support) : une surface, une main, un grain, une fibre, une tension et même la lumière et le son. Le Japon, qui a choisi d’ inscrire le papier au Patrimoine Culturel Immatériel de l’humanité, a généré un véritable choc dans mon imaginaire, et la découverte du washi a initié de grands projets pour l’atelier. Nous cultivons également un goût certain pour les techniques anciennes, riches de bon sens et d’observation des phénomènes naturels. N’en déplaise à une société très (trop) technologique, technocratique, mais dans laquelle nous apprécions, voire adorons, les outils numériques à leur juste valeur, nous sommes convaincus qu’une œuvre est singulière car elle nait d’un geste et d’une intelligence propres à l’apprivoisement de la matière. Le mystère de la nature y est porté par une dose d’intuition et d’écoute. Aussi, dans les vieux grimoires, désormais accessibles en numérique, que nous chérissons également, nous trouvons une formidable source d’inspiration. C’est ainsi que nous avons retrouvé le savoir-faire perdu du carton pierre par exemple. Et avec le savoir-faire nait la manière, le langage. Nous développons donc notre vocabulaire au fur et à mesure des découvertes, dans les livres et dans le monde. Il n’y a donc pas une source d’inspiration mais, comme pour le papier lui-même, une pléthore d’expériences et de rencontres.

Quels sont les principaux changements que vous avez observés dans votre métier au fil du temps et les défis qui pourraient survenir dans les prochaines décennies ? Comment reflètent-ils les transformations sociétales et technologiques ?

Au tout début de l’aventure de l’Atelier d’Offard, le papier peint, à la planche ou non, était globalement considéré comme laid et suranné. Par chance, depuis quelques années il est revenu en force ; le goût du motif et de la couleur, le besoin de gaîté dans une époque qui en est peut-être parfois dépourvue. Un peu à l’image des blouses des femmes de miniers dans les corons, très fleuries et très colorées dans le but d’apporter de la lumière et de la joie dans un univers charbonné. Nous tentons d’apporter d’autres dimensions à ce retour du papier sur les murs, en interrogeant sa portée architecturale, son impact sur l’imaginaire, sa raison d’être dans le décor. Par ailleurs, en France, l’artisanat d’art sortait tout juste de sa connotation péjorative lorsque j’ai créé l’atelier. Les notions de « village de potiers » et de « macramé » restaient prégnantes. Aujourd’hui, il fait partie des jauges de la société. Servi un peu trop au menu, il trouve toutefois une belle place et il répond, avec force et conviction, à des attentes sociétales légitimes. Il y a bien entendu le slow made et la low-tech, même si la main est une machinerie extrêmement complexe qui ajoute au numérique la sensitivité, mais il y a également des outils offerts par l’artisanat d’art pour lire ou Re-lire le monde, une vision par la matière et la matérialité, dans le sens noble du terme. Somme toute, une invitation à l’incarnation. Aussi, en France, pays de l’étiquette et des vérités érigées, les frontières entre design, art et artisanat d’art sont en train de s’ouvrir. Enfin, je pense que les technologies dans l’artisanat d’art sont prises pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire un outil. Elles sont devenues essentielles non seulement pour résoudre les contraintes d’une société complexifiée par un rapport de force entre les outils et les besoins, le tout contenu dans une petite boite de quelques centimètres cubes, mais aussi accompagnent le geste et délient la pensée dans certaines exécutions. Leur intégration, indispensable, dans les métiers d’art, contribue peut-être à interroger certains enjeux sociétaux comme ceux relatifs, par exemple, à l’intelligence artificielle.

Y a-t-il un livre, un film ou une œuvre d’art qui selon vous capture parfaitement l’essence ou les dilemmes de votre métier ?

« La recherche du temps perdu » de Marcel Proust. Je ne suis pas assez Proustien pour me permettre d’analyser l’œuvre et dire à quel point elle reflète ce qui fait la valeur, de prime abord improbable, du papier peint. Mais pour en donner une lecture simplifiée et mainstream, l’effet « Madeleine » de ce qui a décoré bien des demeures familiales me parait évident, du moins palpable. La réceptivité par laquelle s’est construite l’œuvre de Proust est, en tout état de cause, notre canne blanche.

Imaginons que vous puissiez créer une capsule qui voyagerait à travers l’univers et le temps, qu’aimeriez-vous mettre dedans ?

Rien ! J’aime arriver vierge de tout dans un espace/temps inconnu. Il y a plus à apprendre qu’à prendre où que nous allions. Par ailleurs, j’aime faire, fabriquer, créer, et je suis convaincu qu’une œuvre nait de l’inconnu et non pas de ce que nous avions imaginé, façonné intellectuellement. A moins que le vertige d’un tel voyage ne soit supportable qu’à condition de garder tout contre soi un objet transitionnel ?